L'histoire dans le cinéma

Publié le par Hélène

Merci Flo de m'avoir relancée dans ces vieux trucs. Ce texte est un sujet de partiel sur lequel j'étais tombée en dernière année de fac. Truffé de réflexions, il intéressera sûrement certain(e)s cinéphiles.























Les oiseaux, Alfred Hitchcock, 1963

"Généralement, le cinéma rend mal l'anecdote. Et "action dramatique" y est erreur. Le drame qui agit est déjà à moitié résolu et roule sur la pente curative de la crise. La véritable tragédie est en suspens. Elle menace tous les visages. Elle est dans le rideau de la fenêtre et le loquet de la porte. Chaque goutte d'encre peut la faire fleurir au bout du stylographe. Elle se dissout dans le verre d'eau. Toute la chambre se sature de drame à tous les stades. Le cigare fume comme une menace sur la gorge du cendrier. Poussière de trahison. Le tapis étale des arabesques vénéneuses et les bras du fauteuil tremblent. Maintenant la souffrance est en surfusion. Attente. On ne voit rien, mais le cristal tragique qui va créer le bloc du drame est tombé quelque part. Son onde avance. Cercles concentriques. Elle roule de relais en relais. Secondes.

    Le téléphone sonne. Tout est perdu.
    Alors, vraiment, vous tenez tant à cela à savoir s'ils se marient au bout. Mais IL N'Y A PAS de  films qui finissent mal, et on entre dans le bonheur à l'heure prévue par l'horaire.
    Le cinéma est vrai. Une histoire est un mensonge."

Jean Epstein, Bonjour le cinéma, 1921, Ed. La sirène


Epstein prétend ici que le cinématographe n'est pas le support idéal pour raconter des histoires. Il fabrique certes de l'émotion, mais cette dernière n'émane certainement pas de la narration. Pour approfondir sa démonstration, le cinéaste parle des accumulations de détails dans l'image. Selon lui, le drame peut surgir de n'importe où, de n'importe quel élément présent dans la mise en scène, dans la mesure où celui-ci est obligatoirement porteur de sens. Autrement dit, Epstein fait du cinéma l'art du détail, celui qui ne laisse de répit au spectateur tant les sens sont constamment en alerte. Cet extrait de Bonjour Cinéma entre d'ailleurs en corrélation parfaite avec l'une des ses autres affirmations : "Le drame au cinéma n'est pas à l'origine de l'histoire mais de tout le reste".

La thèse est plutôt pertinente.. tant et si bien d'ailleurs que d'autres cinéastes plus tard approfondiront l'avis de Jean Epstein. Dans ses entretiens avec François Truffaut en 1966, Alfred Hitchcock affirme avec humour que rien ne sert de rendre un scénario original, puisque tous gravitent autour de la même trame : la rencontre amoureuse ("Boy meets girl"). Et Jean-Luc Godard de se saisir du flambeau dans Les histoires du cinéma en 1998 : quand on se souvient des films d'Hitchcock, on ressasse surtout des objets spécifiques à son style, des petits détails tels qu'une femme blonde, une cigarette, une tasse de café, etc... Ce sont eux qui font évoluer le drame et le suspense. Autre théoricien : Jacques Rancière. Dans La fable contrariée en 2001, le drame est l'accumulation de micro-sensibilités qui mène inéluctablement vers quelque chose de plus fort. Encore note-t-il que ce fonctionnement est présent dans l'évolution de tous les arts. Pour chaque cas, il s'agit de passer de la narration générale au sens du détail. Dans la littérature médiévale, par exemple, on assiste à du grand récit  épique, puis beaucoup plus tard, avec Zola ou Proust, le lecteur est face à des montagnes de détails.

Pour conclure, dans n'importe quel (bon) film vous pourrez observer ce phénomène : l'évolution des émotions se substituent toujours à la narration. C'est la mise en scène uniquement qui décide à quel moment le spectateur doit sursauter, s'émouvoir, ou se détendre.  Comme le dit Epstein, n'est-ce pas la sonnerie brusque du téléphone qui détermine la prolongation ou non d'une attente chez le spectateur?
















Psychose
, Alfred Hitchcock, 1960

A voir  pour mieux comprendre :

Home Stories

M. Müller rejoint un peu la thèse d'Epstein dans ce court-métrage de 1991. En effectuant le montage d'extraits de films illustres, il parvient à reconstituer une seule et unique histoire.

Publié dans Cinéma

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V
Haaannn genre ça t'faisait chier d'm'expliquer alors tu m'fais passer pour une Arlette Laguillier contestataire!!! lol Ben en fait je viens de relire et ce matin j'ai compris! Si, si!!!
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V
J'ai du échanger mon cerveau avec celui de mon chat... Les éléments tels qu'une marre de sang etc sont tout autant des éléments de narration que scénographiques nan? J'arrive pas à discossier donc je comprends pôôôôôôôô!!!!!!!
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H
Oui mais non.. Une marre de sang ça se raconte pas vraiment. C'est du détail si tu veux. Le fait qu'il n'y ait pas de marre de sang après un meurtre n'empêche pas forcément le meurtre d'arriver. La présence de sang dans la mise en scène va amplifier l'histoire, ou pas. C'est compréhensible là? Ou t'es pas d'accord en fait?
F
J'ai toujours pas compris... Soit je suis très con... soit, heu... je suis très très con!!! Je penche plutôt pour la seconde solution!:p<br />  <br /> Bonnes vacs vieille Chti
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H
Ou soit l'article n'est pas assez compréhensible :OPEn gros, Epstein pense que le plus important dans un film, c'est la mise en scène. Pas besoin de faire attention à la qualité de l'histoire parce que l'émotion sera créée uniquement grâce à un tas de petits détails accumulés dans l'image. Par exemple, pour faire monter le suspense chez le spectateur, les outils pourraient ressembler à un bruit hors-champ, une ombre,  une porte qui ne s'ouvre pas, le holster vide du flic adjuvant, etc.. Le thriller, lui, se servira probablement d'une marre de sang, d'un silence pesant, d'un étalage de couteaux maculés, d'un cadavre démembré, etc...c'est tout cela qui va faire trembler le spectateur, et non pas l'action ou la narration. Tu saisis?